Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

vendredi 12 avril 2024

J'avais un camarade… Robert Boissières



 
Robert Boissières, 20 ans
(photo prise peu avant son assassinat)
Robert Boissières, né le 11 février 1942 à Toulouse, a été odieusement assassiné à vingt ans devant le domicile de ses parents le jeudi 12 avril 1962 à Alger par une bande d'aviateurs de l'armée française en vadrouille. Agression gratuite, lâche, imbécile, criminelle. Geste de Français très ordinaires…

Aspects de la France, jeudi 19 avril 1962


Nouvelles d’Alger 
(Copie intégrale d’un article non signé publié par Aspects de la France, le jeudi 19 avril 1962. L’original de cette coupure de journal m’a suivi jusque dans mon exil asiatique.)
Le 12 avril 1962, vers 23 heures, un peu avant le couvre-feu, un jeune Français de 20 ans, étudiant en 1ère année de Droit, Robert Boissières, a été tué par les « forces de l’ordre », une patrouille de gendarmerie de l’Air, près du Rectorat, route du Golf à Alger. 
Il venait, avec quatre camarades, dont son frère, âgé de 18 ans, d’apposer des inscriptions "O.A.S." dans le quartier.
Ils rentraient chez eux lorsque, entendant une voiture militaire, ils se cachèrent dans le rebord du talus, parmi les herbes. C’est là que sans sommation aucune, Robert Boissières fut exécuté d’une rafale de mitraillette, tandis que son camarade, Jean Zonza, 21 ans, étudiant en Médecine, était grièvement blessé.
Le quartier fut mis en émoi par cette rafale et en particulier les parents de Robert qui habitent au Clair Logis des P.T.T. Son père, inquiet, descendit immédiatement sur les lieux du drame. Il rencontra un militaire qui lui annonça froidement qu’il venait de « fusiller » un jeune, en même temps qu’il lui tendait la carte d’identité de sa victime. Douleur du pauvre père lorsqu’il reconnut que c’était celle de son fils.
Les Agences de Presse ont donné différentes versions, des versions fausses surtout. On a prétendu qu’un coup de feu avait été tiré. C’est faux. Ces garçons n’étaient pas armés. Mais on use du mensonge pour essayer d’excuser un acte odieux…
Les obsèques de la jeune victime ont été célébrées ce matin, lundi 16 avril, à 9 heures, à la "sauvette". On avait interdit tout faire-part et communiqués dans les journaux. On craignait l’affluence… J’y suis allé avec mes enfants et deux camarades de Robert Boissières.
Malgré toutes les précautions prises par les autorités, il y avait plus d’un millier de personnes à suivre ce malheureux convoi de quelques mètres dans le cimetière de Saint-Eugène, entre la morgue et le dépositoire. Mais obsèques émouvantes, bouleversantes dans leur simplicité, dans leur clandestinité. Foule digne, très impressionnée… Les martyrs de la foi en ont eu d’identiques, et de telles morts, de telles obsèques ne peuvent qu’affermir une religion ou un idéal…
Le jeune frère de Robert, retenu à l’école de police d’Hussein Dey, n’a pas été autorisé à rendre ce dernier hommage… Quelle tristesse.
Ce n’est pas avec de tels assassinats, de tels procédés pour essayer d’étouffer nos sentiments qu’on parviendra à l’apaisement d’une population française de plus en plus survoltée.
Après cette pénible cérémonie, je suis allé ensuite, seul, me recueillir sur les lieux du drame. À l’endroit où est tombé ce pauvre enfant : des bouquets de fleurs, quelques-uns avec ruban tricolore et contre le tronc d’un arbre mort trois lettres sont épinglées : celle d’une mère bouleversée, et deux autres écrites par des camarades de la victime. Lettres qui crient une indignation bien légitime…

Le rédacteur, sous la menace de la censure et de la saisie du journal, malgré son émotion, reste très réservé. Il ne précise pas que la caserne de ces aviateurs jouxte l’immeuble du Clair Logis des P.T.T. Il ne s’interroge pas sur ce que faisaient réellement à cette heure hors de leur base ces aviateurs ? Retour de beuverie ? Ce qui est avéré est que le militaire assassin qui proclama froidement qu’il venait de « fusiller » un jeune, ses acolytes et toute la troupe, jusqu’à tard dans la nuit, fêtèrent ce haut fait de guerre sous les fenêtres des familles des victimes. De plus, nous ne pouvons manquer de nous interroger sur la sanction de cet acte de bravoure. L’assassin et ses complices furent-ils par la suite décorés ? La haine gaulliste n’exclut rien.

Depuis, en France, sur le territoire français métropolitain, partout, chacun risque de croiser l’un de ces ivrognes. Pourquoi ne serait-ce pas celui-ci ? Pourquoi pas celui-là ? De toute façon par leurs votes successifs, et d’abord celui en faveur de l’abandon de l’Algérie, les Français ont sans cesse réaffirmé leur complicité avec ces assassins… Décidément, ce pays m’est définitivement infréquentable… À présent, mon vœu le plus cher reste de n'avoir jamais à vivre dans ce pays d’infâmes, la France… ni d'y crever… ni que mes cendres y soient  souillées.

Alex Nicol dans « La Bataille de l’OAS » publié dès novembre 1962 (Les Sept Couleurs) donnera une version qui rejoint celle d’Aspects de la France, et  confirme (pages 129-130) : « Jamais on n’a fait état de l’ouverture d’une enquête quelconque ni de sanctions prises contre ces militaires pour le moins nerveux sur la gâchette… »

Une version tout aussi horrible de ces faits est rapportée par Francine Dessaigne dans son « Journal d'une mère de famille pied-noir » :

Vendredi 13 avril 1962. … Le journal d'hier nous apprend la mort de Robert Boissières, dix-neuf ans. Jeudi soir, il dînait en compagnie de son frère aîné chez la fiancée de ce dernier. Vers 11 heures ils rentrent à pied dans le quartier de la Redoute. Un groupe de jeunes gens court sur la chaussée suivi de près par une patouille de métropolitains. Les Boissières s'arrêtent. Les jeunes gens prennent une petite rue et disparaissent dans la nuit. La patrouille revient sur ses pas et retrouve les deux frères. Bruit de culasse, les jeunes gens s'aplatissent sur le trottoir. Les soldats s'approchent et, presque à bout portant, tirent deux balles dans la tête de Robert et une rafale sur son frère. Robert Boissières est mort hier matin; son frère exsangue est dans un état grave. C'est ce que raconte à mon mari un de leurs cousins…

Les divergences entre ces versions des circonstances d’un même assassinat témoignent de l’extrême tension qui régnait alors à Alger et de l’intolérable pression exercée par les séides du pouvoir métropolitain d’alors désormais allié inconditionnel du FLN, tant dans le crime que dans la propagande et la manipulation de l’information. Ce même jour, ce 12 avril 1962, le général Edmond Jouhaud, arrêté à Oran peu avant, est condamné à mort. Le vendredi suivant, le 20 avril, le général Raoul Salan devait être lui aussi arrêté…


Faire-part édité et diffusé clandestinement par l’Association générale des étudiants d'Alger (AGEA) :


(Maquette réalisée par Josseline Revel-Mouroz et Hélène Mattéi - AGEA)


Instants de bonheur à l'AGEA…  Robert : le seul civil

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Le 10 octobre 1984 Robert a quitté Terre-Cabade. Il repose désormais au nouveau cimetière de Cugnaux, dans la proche banlieue de Toulouse.

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La Cavalcade a été composée en 1963 par Jean De Brem en l'honneur du lieutenant-colonel Jean-Marie Bastien-Thiry responsable de l'attentat du Petit Clamart visant le DeGaulle et fusillé le 11 mars 1963. L'air est celui du chant allemand "Ich hatt' ein Kamerade" en français "J'avais un camarade".


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Le 5 juillet 2003, en présence de plus de 1500 personnes unies dans un profond recueillement, était inaugurée, au centre du cimetière du Haut-Vernet à Perpignan, une stèle en l'honneur de 104 des "fusillés et combattants  tombés pour que vive l'Algérie française". 

Inauguration de la stèle aux "Martyrs tombés pour l'Algérie française", fin de cérémonie : appel personnel de chacun des 104 Martyrs


"Aux fusillés, aux combattants tombés pour que vive l'Algérie française",
cimetière du Haut-Vernet, Perpignan


"Aux fusillés, aux combattants tombés pour que vive l'Algérie française"… 104 martyrs auprès des fusillés  Bastien Thiry, Degueldre, Dovecar, Piegts,
 cimetière du Haut-Vernet, Perpignan

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Sur ce blog, une page spéciale est désormais dédiée à Robert Boissières [clic sur sur cette page, bouton à droite "Robert Boissières" ]. Une page qui appartient à tous ceux qui se souviennent de Robert, à tous ses amis… Qu'ils y déposent témoignages, photos, documents pour que de Robert vive le souvenir…

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Hocine Aït Ahmed et Jean-Jacques Susini, deux Algériens d'exception…

Ian Smith, le héros que n'a pas su opposer l'Algérie à l'infâme trahison de DeGaulle…

Robert Boissières sur le site de l'ADIMAD-MRAF
Jean-Jacques Susini : l'ultime espoir de l'OAS restait la négociation directe avec le FLN


Jean-Jacques Susini : fondateur et théoricien de l'OAS

Éd. IDées : "Pour une critique positive"… après "L'Algérie pacifiée sur un plateau d'argent !"



Via Recta : Éd. IDées : "Pour une critique positive"… après "L'Algérie pacifiée sur un plateau d'argent !"  … L’oubli dans lequel est aujourd’hui confiné Jean-Jacques Susini témoigne, si besoin était, une fois de plus de la victoire et de la force d'un Régime stérile, incapable d'imagination et d'innovation au service du peuple de France !… …

Le Point : Les États-Unis auraient apporté leur soutien à l'OAS en 1962 - Pour les services secrets suisses, les États-Unis auraient poussé l'OAS à s'entendre avec l'aile modérée du FLN par l'intermédiaire de Jacques Chevallier, ancien maire d'Alger et ancien secrétaire d'État à la Défense, Jean-Jacques Susini, le numéro deux de l'OAS, derrière le général Raoul Salan et le colonel Jean Gardes.

Les banlieues françaises, héritage de l'Afrique imposée par le "grand homme" DeGaulle…

Alexandre Gerbi - « La France ne serait plus la France » et « Apartheid » : Décryptage de deux énormes « lapsus » de Manuel Valls

Alexandre Gerbi - Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine : Imposture, refoulements et névroses
La France blanchit son armée en 1944… plus raciste que DeGaulle tu meurs…

Un copain de classe à l'école Berthelot  et de jeu lors de mon enfance au Plateau Saint-Michel à Oran : Houari Ferhaoui [فرحاوي الهواري]   (accéder aux pages 103, 104)




vendredi 5 avril 2024

Oran, mardi 5 avril 1949 : la Grande Poste est attaquée !…


L’attaque de la Grande Poste d’Oran, le mardi 5 avril 1949… Un incident aujourd’hui présenté comme un acte fondateur de la lutte du nationalisme algérien pour l’Indépendance de l’Algérie… Chaque année fleurit aux alentours de cette date anniversaire une copieuse gerbe d’articles glorifiant ce fait. Sans prétendre avoir choisi les plus significatifs nous en citerons ici seulement deux ou trois en référence ; il sera aisé au lecteur curieux d’en trouver profusion sur la Toile… Nous citerons également une publication d’un Français d’Algérie tentant une présentation actuelle de ce fait, de ses acteurs, de ses implications…

Notre ambition ici se limite à rapporter seulement un souvenir… Alors, comment ce fait a été perçu, rapporté par la presse que nous lisions, nos parents et nous, celle d’Oran – représentée par un journaliste que nul d’entre nous n’a oublié, pas seulement pour son crocodile de la Macta, Firmin Ellul… Et aussi comment nos voisins algérois en ont-ils reçu la narration ?…

Ne sera donnée ici qu’une transcription de ces articles, transcription qui ne peut se substituer à la saveur de leur découverte directe sur le site de la Bibliothèque nationale de France… On appréciera le style de leurs rédacteurs, celui incomparable de Firmin Ellul, bien éloigné de la prose de nos commentateurs modernes… Leur respect scrupuleux des faits, seulement une discrète mise en relation avec des faits similaires ; pour l’Écho d’Oran, des attaques à mains armées dans les environs immédiats ; pour les journaux d’Alger loin des inquiétudes strictement oranaises, des attaques d’une bande armée sévissant en Métropole… et aussi, le méchant étant toujours l’étranger le plus proche : l’un des agresseurs avait un « fort accent métropolitain » ! Jamais la moindre allusion à un acte autre que de nature mafieuse…

On ne manquera pas de rapprocher ces faits avec l’actualité brûlante d’alors : le veille, lundi 4 avril 1949, avait était créée l’OTAN… Rappel pour certains de nos parents de cette calamiteuse opération Torch et de l’occupation de l’Algérie par les Américains ? Leur propagande subversive contre la France auprès des populations musulmanes avait-elle été déjà perçue ? Mais une quasi-certitude : ce 6 avril, même en privé, personne ne faisait le lien entre cette attaque de la Grande Poste et la récente occupation américaine…

C’est aussi en ce début avril qu’était annoncée pour début juin prochain la visite en Algérie du président Vincent Auriol… Nous aurons là notre plus ancien et vif souvenir d’enfance d’un évènement politique. C’est le jeudi 2 juin 1949 que nous avons assisté depuis notre balcon dominant le boulevard Sébastopol au passage du cortège présidentiel venant visiter l’Hôpital civil…

Certes, nous gardions le souvenir plus lointain de ces anciennes mesures de défense civile dans lesquelles a baigné notre plus tendre enfance : la suspension de notre salle à manger coiffée d’un papier violet, car l’été nous vivions les persiennes ouvertes le soir ; de rares descentes aux abris, plutôt perçues comme une distraction ; les inscriptions au pochoir près de l’entrée des immeubles de la rue d’Assas disposant d’une cave : « Abri, x personnes ». Il y a aussi le souvenir ému et respectueux de cette photo trônant bien en vue sur la cheminée de la chambre de mon grand-père : celle du Maréchal. Mais tout cela n’avait rien de politique, ne constitue pas un évènement ; c’était la banalité de notre vie quotidienne…

Puis quelques mois encore plus tard, au plateau Saint-Michel, le mardi 12 décembre 1950, grand émoi autour du crash d’un AVRO de l’Aéronavale… Souvenir vivace, mais rien de politique encore.

Nos jeux de gamins entre copains, de l’école Berthelot ou voisins de rue, étaient sans aucune distinction d’origine et, bien sûr, de l’opinion partisane des parents ; et nous savons aujourd’hui que l’un d’entre eux a donné son nom à la principale place de notre quartier, une place qu’immanquablement nous franchissions plusieurs fois chaque jour…

Avant d’abandonner le visiteur de ce blog au plaisir de la lecture des journaux de ce 6 avril 1949, revenons un instant à notre Grande Poste… Souvenons-nous qu’un certain Georges Melenchón Martinez y était receveur (receveur principal ?) ; c’est après cet incident qu’il fut muté à Tanger… où naîtra le 19 août 1951 un petit Jean-Luc…

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La mémoire est une friche… S’y perdre en vagabondages est un plaisir et un privilège de gamin retrouvé, source d’inépuisables étonnements… Y surgissent aux instants les plus inattendus de nouveaux rejets, jeunes pousses elles-mêmes promises à une imprévisible fécondité… S’y mêlent les essences les plus étrangères les unes aux autres, à la cohabitation apparemment incompatible mais qui pourtant font leur unité…
Hasardons-nous sans crainte dans cette vaste friche :


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Tandis qu’Oran s’éveille…

Mitraillette au poing, des bandits attaquent la Poste centrale

Courageuse résistance des deux caissiers : 3 millions de billets emportés, mais 33 millions sauvés
Trois blessés, dont un médecin auquel l’auto fut volée, permettant aux malfaiteurs de s’enfuir 

L’Écho d’Oran, mercredi 6 avril 1949

Article signé : Firmin Ellul 

L'Écho d'Oran du mercredi 6 avril 1949
Article signé : Firmin Ellul

Une nouvelle agression à mains armées est venue hier matin [mardi, 5 avril 1949], sonner l’émoi parmi notre population. Une agression en certains points semblable aux précédentes que l’on a encore en mémoire : celle dont fut victime, il y a environ un mois, un chauffeur de taxi qui fut retrouvé ligoté dans la banlieue ; celle surtout, du garagiste de l’avenue Loubet, dont la caisse fut allégée de 100 000 francs.
Mais cette fois-ci, les bandits – dont on ne saurait dire s’ils sont les mêmes - ont tenté le « gros coup », qui leur aurait rapporté une quarantaine de millions s’ils ne s’étaient heurtés à l’admirable résistance de deux caissiers qui sans arme – la loi le leur interdit ! – ont répondu par une contre-attaque à la classique injonction de « haut les mains ! ».

Néanmoins, trois millions de billets sont emportés, trois hommes furent assommés, et le démarrage fulgurant d’une « traction » volée termine – pour l’instant du moins – cette affaire qui, comme les plus spectaculaires de l’écran, comporte aussi un prologue.
C’est par lui que nous devons commencer.

Un docteur mandé d’urgence

C’était avant-hier soir. Le docteur Pierre Moutier, qui demeure au n° 44 de la rue d’Alsace-Lorraine, entendait vibrer la sonnerie de son téléphone. Il prit l’écouteur :
- « Docteur, lui dit une voix masculine, il s’agit d’un enfant malade. Pourrais-je venir vous prendre vers 19 h. 30 pour vous accompagner jusqu’à son chevet ? Ses parents habitent la banlieue ».

Le médecin acquiesça. À l’heure dite, l’homme du téléphone se présente chez le praticien. D’une taille au-dessus de la moyenne, les cheveux châtains séparés d’une raie sur le côté, le nez souligné d’une moustache en accent circonflexe, l’inconnu portait des lunettes à monture dorée et tenait respectueusement son chapeau à la main. Tout, dans sa personne, semblait indiquer une personne convenable.
Un instant plus tard le docteur Moutter, au volant de sa « traction » conduisait son client vers Gambetta. L’homme fit prendre une traverse qui relie la route d’Arcole à celle de Canastel. Puis, à hauteur de l’ancien télégraphe Chappe d’Aloudja « c’est ici » dit-il en désignant une ferme où, précisa-t-il, son frère attendait le médecin au chevet du petit malade.

 Ligoté dans une grotte !

Alors le médecin, qui n’avait aucune raison de se méfier, se dirigea vers la bâtisse, devant laquelle trois hommes l’attendaient… dont deux avaient en main un pistolet de gros calibre !
Trop tard pour rebrousser chemin ! En un clin d’œil, l’infortuné docteur était à demi assommé à coups de crosse, ligoté, bâillonné, transporté dans sa voiture qu’il sentit rouler pendant une dizaine de minutes. Il eut l’impression que des inconnus, qu’il entendait se communiquer des ordres à l’oreille, entreprenaient avec lui une longue et laborieuse descente. Puis on le déposa à terre, sous la garde d’un homme qui lui envoyait un coup de pied chaque fois qu’il esquissait un mouvement.
Et la nuit se passa ainsi…

Au petit jour, le captif eut l’impression d’avoir été abandonné par son gardien. Il réussit, au prix de patients efforts, à faire glisser le bandeau sur son visage. Il était bien seul, au fond d’une grotte, creusée à flanc de falaise, près de Canastel.
Près de lui, sa trousse d’urgence, jugée compromettante, avait été jetée. En rampant, le médecin put s’en approcher, l’ouvrir et, avec le bistouri qui s’y trouvait, couper les liens qui l’entravaient.
Il escalada alors la falaise, et arriva sur la route où un automobiliste qui passait le conduisit au poste de police de Gambetta, où en faisant sa déposition il s’aperçut qu’il n’avait plus sur lui son portefeuille contenant plus de 10 000 francs, ni sa montre, ni son stylo.

Après avoir été pansé par son confrère le Dr Bergall, le Dr Moutier arriva chez lui où son épouse lui apprit que vers deux heures du matin, tandis qu’elle venait d’alerter la police, l’inconnu de la soirée se présenta à nouveau, prévenant Mme Moutier que son mari devait rester au chevet de l’enfant, qu’il fallait devoir opérer…
On juge à quel point les bandits opéraient « la tête froide », selon un scénario dont on allait encore mesurer le parfait chronométrage.

L’attaque des caissiers

Depuis la veille, donc, et sans risque d’être recherchée, la bande disposait de l’« outil » désormais indispensable à toute opération-éclair : une voiture sûre, confortable et rapide qui allait faire jouer à fond l’effet de surprise. On va voir comment…

Six heures venaient de sonner. À l’intérieur du bâtiment de la Recette principale, place de la Bastille, deux caissiers, MM. Raphaël Fabre, qui habite 31, rue Dumanoir, et Gustave Barraut, domicilié rue de la T.S.F., Ruche des P.T.T., rangeaient devant l’un des deux coffres ouverts – le plus grand – la recette de la veille.
Tout à coup, ils perçoivent des bruits de pas rapides, mais que l’on s’efforce de rendre feutrés. Qui peut venir à cette heure matinale où le grand hall de la R.P. est en général désert ?
Quelqu’un est là. Les deux postiers en ont le pressentiment. À peine lèvent-ils les yeux de leurs liasses de billets qu’un ordre jaillit « haut les mains ! » Trois hommes sont là, l’air décidé. L’un d’eux braque vers les employés le canon d’un pistolet-mitrailleur « Sten ».

Mais les deux postiers ne se laissent pas intimider. L’un d’eux, M. Barraut, n’a-t-il pas déjà été attaqué en 1936 devant la Banque de l’Algérie, où il allait faire un versement important ? Avec son collègue il s’élance sur les agresseurs lesquels pour ne pas donner l’alarme et être pris comme dans une souricière, s’abstiennent de faire feu, se bornant à frapper à coups de crosse, de poing et de pied.
La loi du nombre finit par jouer, hélas ! Et en quelques instants de lutte inégale les deux fonctionnaires sont assommés. Les bandits entassent fébrilement des liasses de billets dans un sac - on saura par la suite qu’il y en aura pour 3 millions 170 000 francs – abandonnant le reste à travers la pièce au parquet ensanglanté, et… sur les étagères du coffre ce qui représente une trentaine de millions !…

La fuite

C’est alors la fuite éperdue des trois gangsters le long de l’allée des guichets, puis du couloir conduisant au vestiaire.
Lorsqu’ils traversent la petite salle réservée au service de nuit, des cris « au voleur » retentissent, poussés par les deux employés qui retrouvent leurs sens.
Un homme, M. H. C…, écrivain public, dont la profession exige la présence dans la salle d’attente, essaye de s’interposer, mais sur le trottoir il doit s’arrêter, tenu en respect par l’homme resté au volant de la traction-avant, qui le menace de sa mitraillette. Néanmoins le témoin retient le numéro d’immatriculation de la voiture - ce qui, hélas ! ne sera d’aucune utilité. Puis, impuissant, il voit les trois agresseurs s’engouffrer dans l’auto dont les portières étaient restées ouvertes, et qui démarre à toute vitesse vers la place Villebois-Mareuil.

Un autre témoin est M. Gilbert Sabba, qui assura le service de nuit du télégraphe.

Vers 6 heures, un jeune Musulman se présenta à son guichet pour déposer un télégramme de 57 mots à destination de Glasgow, l’expéditeur mentionné étant M. Lopez, de Saint-Denis-du-Sig. Faute d’argent suffisant, le commissionnaire reprit le télégramme. À cet instant précis, M. Sabba remarqua la présence de deux personnes dans la salle : un de ses collègues, puis un inconnu. Cela n’était pas de nature à l’émouvoir, car beaucoup d’employés passent par les guichets pour aller accrocher leurs vêtements et vêtir leur blouse à l’étage supérieur où, comme nous l’avons dit, est installé le vestiaire du personnel.
Comme l’autre témoin, l’employé de nuit ne fut alerté que par les cris poussés par les victimes, et il ne put qu’apercevoir les trois fuyards : deux Européens vêtus de complets foncés, et un Musulman portant un imperméable beige.

L’enquête

Une minute tout au plus s’était écoulée depuis la fuite précipitée des bandits que des renforts de la Police d’État arrivaient sur les lieux.
L’enquête commençait aussitôt, et l’on notait sur les lieux la présence de M. Fillippi, commissaire de police du 6° arrondissement, accompagné de M. Chaintreuil, secrétaire, assurant le service de permanence, que rejoignaient peu après MM. Esquerré, contrôleur général de la Sécurité ; Guyard, chef de la 1ère Brigade Nationale de la Police Judiciaire ; Caravano, chef de la Sûreté urbaine ; Saurel, substitut du Procureur de la République ; Tain, juge d’instruction.

En présence des témoins, la police et le Parquet procédèrent à une reconnaissance de la scène. Signalons à ce propos qu’un cabas contenant un chargeur de pistolet-mitrailleur et des gants était trouvé sur les lieux.

Cependant, les blessés étaient transportés par un véhicule de la police d’État au pavillon 10 de l’Hôpital civil, où des soins empressés leur étaient donnés. Plus sérieusement atteint que son collègue M. Barraut devait subir des mains du Dr Sicard l’opération du trépan, mais l’éminent chirurgien voulait bien nous dire, dans la soirée, que les jours des blessés ne sont pas danger.

Quant à nous, nous joignons nos vœux à toute notre population en vue du prompt rétablissement de ces admirables serviteurs de l’État, dont l’attitude magnifique a évité le pire et servira d’exemple. Ces mêmes souhaits s’adressent également au docteur Mouttier, victime lui aussi des devoirs de sa profession.

La traction-avant est retrouvée

On apprenait, vers midi, que la traction-avant dans laquelle les bandits avaient pris la fuite venait d’être retrouvée au quartier Saint-Charles, rue Gustave Rodin. Après avoir été identifiée par le commissaire Guyot et l’officier de P.J. Obadia, du 3° arrondissement, la voiture fut remise à son propriétaire. Alors seulement furent levés les barrages établis par la gendarmerie nationale sur toutes les routes de l’arrondissement. 

Firmin Ellul

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À propos de l’agression dont a été victime le Dr Moutter, nous avons reçu de M. le docteur Laborde une lettre rappelant que le corps médical demande depuis toujours le droit de port d’armes sans l’obtenir. Il nous communique à ce propos un bulletin « Confraternité », organe du Conseil de l’Ordre des Médecins d’Oranie, dans lequel est insérée une circulaire ministérielle confirmant ce refus :
« La législation en vigueur, y est-il écrit, ne permet pas la délivrance d’autorisation de port d’armes aux particuliers, quels que soient les risques auxquels ils sont exposés ».

Source : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k67600061/f1.item
 

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Alger Républicain du mercredi 6 avril 1949

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t584928f/f4.item#

Des gangsters attaquent à la mitraillette la Grande Poste d’Oran et raflent 3 millions

Après avoir assommé 2 employés les 4 malfaiteurs s’enfuient dans la traction d’un médecin qu’ils avaient kidnappé auparavant

(De notre correspondant particulier à Oran René Samson)


Alger Républicain du mercredi 6 avril 1949
Source : Gallica - Bibliothèque nationale de France



Le gang des tractions-avant qui a écumé Paris et la France tout entière aurait-il une filiale à Oran ? C’est ce que se demandent les Oranais depuis le pillage, hier matin, par quatre gangsters, de la recette principale des P.T.T., à Oran.

De mémoire d’Oranais on n’a vu pareils évènements depuis l’agression, en 1935, de la Banque Chabasseur. Voici le film de l’affaire :

Il est 6 heures du matin… M. Gilbert Sabba, employé à la recette des P.T.T., rue Alsace-Lorraine (permanence du service de nuit, aile gauche du grand bâtiment) se trouve fort occupé par une dépêche destinée à Glasgow, que vient de lui remettre une personne de la part d’un certain M. Lopez, demeurant à Saint-Denis-du-Sig. L’homme repart, après discussion, avec sa dépêche n’ayant pu faire l’appoint.

Ce sont les cris de « Au voleur ! Au voleur ! » qui à 6 h. 15 attirent l’attention de M. Sabba et aussitôt, trois hommes, l’un vêtu d’un imperméable et les deux utres costumes sombres, surgissent derrière lui (venant de la salle des coffres) s’échappent par la petite porte du service de nuit dans une traction.

Notons que de nombreux postiers franchissent chaque matin, au petit jour, la porte qui relie le service de nuit et les autres bureaux.

Immédiatement après, M. Barraut, un employé, la tête ensanglantée arrive avec l’intention de poursuivre les gangsters. Sur les conseils de M. Sabba, il porte secours à son collègue, M. Fabre, littéralement assommé par les bandits.

Un témoin, dans cette affaire, a voulu jouer un rôle actif : c’est M. M. H…, écrivain public, qui essaya d’empêcher le gang de s’échapper, mais un complice qui était dans la traction, le menaça de sa mitaillette.

Dans la salle des coffres

Mais que s’était-il passé ? Dans la salle des coffres, MM. Barraut et Fabre comptent la recette de la veille : 10 millions 764 000 francs en liasse, éparpillés sur la table et 26 millions dans un coffre monumental ouvert après le « haut les mains » traditionnel, les gangsters s’aident des crosses de leurs mitraillettes pour essayer de neutraliser les deux postiers. Mais ceux-ci, faisant preuve d’un cran remarquable, se défendent courageusement. Les bandits s’affolent : l’agression dure trop longtemps ; ils raflent 3 millions 170 000 francs laissant dans le coffre 26 millions intacts.

Enlèvement du Dr Moutier

Tout n’est cependant pas terminé. Car la première victime de l’affaire c’est le Dr Pierre Moutier, demeurant 44, rue d’Alsace-Lorraine, propriétaire de la traction-avant numéro 3751 AL 15 dont viennent de se servir les bandits dans leur fuite.

Lundi vers 18 h. le Dr Moutier est appelé au chevet d’un enfant habitant hors de la ville : « On viendra le chercher ». À l’heure dite, un inconnu se présente : 35 ans environ, grand, fort, porteur d’une paire de lunettes à monture dorée. Il tient un chapeau gris à la main. Le Dr Moutier monte dans sa traction-avant en compagnie de l’inconnu. Après un certain temps, l’homme fait stopper. L’auto se trouve à hauteur de l’ancien télégraphe d’Alousda.

« C’est ici, dit l’inconnu. On vous attend à la ferme. Je garde la voiture. »

Le Dr Moutier se dirige alors vers un groupe de trois personnes. Stupéfaction du médecin : deux d’entre elles sont porteurs de colts. Il est immédiatement assommé, bâillonné et jeté dans la traction qui démarre très vite.

Quelques minutes plus tard le médecin se trouve dans un trou où il devait passer une nuit affreuse, brutalisé par un garde-chiourme que lui avait laissé les bandits.

Il réussit néanmoins (quand son ange gardien l’abandonna) à trancher ses liens avec le bistouri qui se trouvait dans sa trousse d’urgence. Et tant bien que mal, il arriva au commissariat de Gambetta où il fit le récit de son aventure.

Les gangsters l’ont dépouillé de 10 000 francs, de sa montre bracelet et de son stylo.

Où en sont les investigations de la police

À l’heure actuelle MM. Saurel, substitut du procureur de la République, Tain, juge d’instruction, Esquerré, contrôleur général de la police, Caravano, chef de la sûreté urbaine, mènent l’enquête sur les lieux des attentats.

Un couffin contenant un chargeur de mitraillette sur lequel des empreintes ont été laissées, un sac et des gants ont été trouvés.

Le Dr Sicard, qui a examiné MM. Barraut et Fabre, a déclaré que leur état n’inspirait aucune inquiétude. Ils sont en traitement à l’hôpital civil. La traction est retrouvée

Les gangsters se seraient dirigés vers la route du port, en direction d’Aïn-El-Turck. La traction-avant a été retrouvée hier vers midi à Saint-Charles, rue Gustave Rodin.

Source : Alger Républicain du mercredi 6 avril 1949 :Des gangsters attaquent à la mitraillette la Grande Poste d’Oran et raflent 3 millions
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t584928f/f4.item#

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L’Écho d’Alger du mercredi 6 avril 1949

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k41537920/f1.item#

À la Recette Principale d’Oran

Quatre gangsters armés font irruption au petit jour et raflent trois millions

L’opération a été montée et menée à la manière de la bande des tractions-avant


L'Écho d'Alger du mercredi 6 avril 1949
(l'article figure en première page mais tout en bas, et de dimensions limitées.)
Source : Gallica - Bibliothèque nationale de France




Oran (d.n.c.p.). – Le gang des tractions-avant a-t-il des affiliés à Oran ? Toujours est-il que les mêmes méthodes : auto volée, mitraillettes, imperméables, sacs ont été employés ce matin pour une attaque de la caisse de la recette principale des P.T.T. d’Oran.

Vol de la voiture…

La traction-avant avait été volée à un médecin, le docteur Moutier, demeurant rue d’Alsace-Lorraine. Voici comment :
Cette nuit, vers 2 heures, un homme sonnait au domicile du docteur, le priant de venir en toute hâte pour un malade qui réclamait des soins à Gambetta. Le médecin acquiesça, alla chercher son auto au garage et accompagné de l’homme, fila sur Gambetta. Mais arrivé dans un lieu presque désert, non loin des Falaises, l’inconnu fit arrêter l’automobile. Quatre hommes surgirent, firent descendre le docteur Moutier, l’assommèrent à moitié, le ligotèrent et l’abandonnèrent. Les bandits sautèrent dans la voiture qui reprit la direction d’Oran.

… Irruption à la R.P…

Or, ce matin, à 6 h. 20, un individu se présentait à la permanence de la poste de nuit et demandait à l’employé de lui envoyer un télégramme pour l’Angleterre. Durant que ce dernier feuilletait son livret pour certains renseignements, trois hommes pénétraient dans la poste par la petite porte de la permanence. Ceux-ci arrivèrent dans la salle où se trouve la caisse et, de leurs mitraillettes, tinrent en joue les deux employés : MM. Barreau et Fabre, occupés à compter des liasses de billets.

… Lutte, vol et fuite…

Mais ces derniers, loin d’obtempérer aux menaces des bandits, offrirent une courageuse résistance. Une lutte s’engagea, les employés, deux agents de 60 ans, reçurent des coups de crosse sur la tête. Mais cette résistance déjoua les plans des agresseurs. Ils raflèrent des liasses qui étaient sur la table et se hâtèrent de fuir. Un des employé frappa, cria au voleur, mais déjà l’auto était repartie.

Le vol se monte à environ 3 millions de francs, alors que la caisse contenait dix fois plus d’argent. MM. Barreau et Fabre, sérieusement atteints, ont été transportés à l’hôpital.

Les services de la police et de la gendarmerie, aussitôt alertés, ont commencé leur enquête.

Un musulman serait parmi les bandits, dont l’un avait un fort accent métropolitain.

… La voiture est retrouvée

La traction-avant dont se sont servis les bandits a été retrouvée dans le faubourg St-Engène, à peu près au même endroit où avait été retrouvé le taxi enlevé à son chauffeur la nuit du Mardi-Gras. On se demande si ce n’est pas la même bande qui opère à Oran et qui, il y a près de deux mois, avait attaqué un garage et dévalisé le garagiste.

L’employé des postes Barreau, une des victimes des bandits, a été opéré, mais son état, ainsi que celui de son camarade, n’inspire pas d’inquiétude.

Source : L’Écho d’Alger du mercredi 6 avril 1949 : Quatre gangsters armés font irruption au petit jour et raflent trois millions
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k41537920/f1.item#

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L'Écho d'Oran, vendredi 3 juin 1949

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Remontons dans le temps… à l'origine de bien des malheurs que devaient que devait subir l'Algérie, la France… le monde civilisé : l'invasion américaine de novembre 1942, ou opération Torch… Certains Français ont vaillamment résisté, d'autres ont collaboré, et tous les autres auront manifesté une désolante naïveté…

L'Écho d'Alger des dimanche 8 et lundi 9 novembre 1942

L'Écho d'Alger du mardi 10 novembre 1942
À Oran… Autour d'Oran, les combats sporadiques continuent.
L'étreinte américaine autour de la ville se resserre.
L'aérodrome de La Sénia a été occupé après avoir été bombardé.
Par contre, Mers-el-Kébir est toujours tenu par les forces françaises.
Dans le courant de l'après-midi, les batteries côtières ont pris à partie
et ont repoussé vers le large deux grosses unités navales américaines
qui tentaient de se rapprocher du port.

lundi 11 mars 2024

En mémoire de Jean Bastien-Thiry




Ce dimanche matin cérémonie au cimetière de Bourg-la-Reine
avec le Choeur Montjoie Saint Denis
en souvenir de Jean Bastien-Thiry
assassiné voilà 61 ans,
- avec la complicité du peuple français -
par l'un des plus infâmes traîtres de toute l'Histoire de France…





Autres messes pour Jean Bastien-Thiry :

. À Fabrègues (34) : messe le samedi 9 mars à 8h30 en l’église ND de Fatima, 1 rue Neuves-des-Horts ;
. À L’Illiers l’Evêque (27770) : messe le dimanche 3 mars à 10h30 à la chapelle du Brémien, 2 rue de l’Orée du Bois ;
. À Lourdes : messe le lundi 11 mars à 11 heures à l’église Saint-Ignace, 22 rue du Sacré-Cœur ;
. À Lyon : messe le lundi 11 mars à 18h30 au prieuré Saint Irénée, 23 quai Perrache (69002) ;
. À Nancy : messes le lundi 11 mars à 18h15 et le à la chapelle du Sacré Cœur, 65 rue maréchal Oudinot ;
. À Nice : messe le lundi 11 mars à 18h30 en l’église du Vœu, quai Saint Jean-Baptiste ;
. À Sens : messe le dimanche 17 mars à 9 heures en l’église Sainte Mathie, bld de Maupeou
. À Toulon : messe le dimanche 10 mars à 10h30 en la cathédrale de Toulon ;
. À Toulouse : messe le lundi 11 mars à 18h30 en l’église du Feretra, 11 place Saint Roch.

Autres messes et célébrations commémoratives :

– À Paris : messe le mardi 26 mars à 10h30, en l’église St Nicolas du Chardonnet (75005) pour les victimes de la fusillade du 26 mars 1962 à Alger ;
– À Paris : En mémoire des Victimes de la fusillade du 26 mars 1962, cérémonie d’hommage le mardi 26 mars 2024 à 14H30 au Mémorial National de la Guerre d’Algérie, Quai jacques Chirac, Paris 7eme (face à l’avenue de la Bourdonnais ; seront associés à cet hommage, les Militaires, Harkis et civils tués ou disparus en Algérie et notamment le 5 juillet à Oran ;
renseignements : Ass. des Familles des Victimes, tél : 06 66 48 95 86 ;
– À Gasseras (82) : samedi 23 mars à 11h30 : messe en l’église de Gasseras pour Jean Bastien-Thiry et les victimes de la fusillade du 26 mars 1962.



61ème anniversaire de la mort de Jean Bastien-Thiry
Présence de Jean Bastien-Thiry… Il pleut sur le fort d'Ivry



dimanche 28 janvier 2024

L’énigme Derrida : Déconstruction ?… T’es pas un farceur, t’es rien !

 

Une farce : une clé de décryptage de Derrida… et en ligne de mire de l’action de tous ceux à qui dans l’espace public on accorde quelque importance…

T’es pas un farceur, t’es rien !

Soulcié…

Le théâtre, une priorité à l’école ! Judicieux souhait d’un expert, à bonne école grâce à son mentor et prof de français Brigitte Trogneux. Emmanuel Macron fait encore le bon choix avec son nouveau Premier ministre Gabriel Attal qui rêvait de devenir comédien avant de suivre accessoirement les cours de Sc. Po. 
Toutefois une différence fondamentale entre Macron (ou Attal) et Derrida : Jacques Derrida interprétait son propre scénario…

L'école alsacienne dans le 6ème arrondissement accueille 1600 élèves issus de milieux sociaux privilégiés.
Il y est dur d'y rentrer à moins d'appartenir à une famille alsacienne. Les prix sont aussi dissuasifs.
Parmi les enfants interrogés, le petit Gabriel Attal, qui en 1998 avait 9 ans ; son rêve : devenir acteur.
Il s'agit du premier passage à la télé d'un Premier ministre, aujourd'hui âgé de 34 ans.

 

« T’es pas un bouffon, t’es rien », sachons reconnaître et honorer les Grands de ce Monde !
Zélensky, espoir militaire de l'Occident :
Napoléon Hitler Mussolini réunis… tous ont mal terminé !


 

Bouffonneries, bouffouneries… un jeu qui peut s'avérer dangeureux !

 

Personne n’aime être pris pour un crétin… Déconstruction ?…

« Jacques Derrida est un homme important, qui a sa place dans la galerie des grands “influenceurs” des courants les plus déstructurant de notre époque. D’autre part, Derrida est né à Alger, c’est un pied-noir. Ce sont là deux bonnes raisons pour que je m’intéresse particulièrement à lui », c’est ainsi que Philippe Grasset nous invite à la lecture de son article… Puis très vite Philippe Grasset suggère une “énigme” Derrida… autour de l’amitié et des frasques de quatre ‘mousquetaires’ du lycée d’El-Biar…

Le Potache Déchaîné
Journal  bimensuel du Lycée de Ben Aknoun, avril 1947

   


« Derrida comprenait-il lui-même ce qu’il écrivait ? »

Un jeune Derrida, manifestement très brillant dans les domaines littéraires et du maniement du langage, en plus très habile dans l’art de la manipulation, une énigme notamment du fait de son exceptionnelle intelligence et de ses capacités de maniement de la langue… Une facilité trompeuse que lui donne son brio, telle qu’il s’en découvre finalement prisonnier ?

Combien parmi “les plus hauts” de nos temps désertiques et inféconds, n’ont-ils pas goûté à cette même ivresse ? En filigrane une invitation à découvrir ceux-là ? N’en déplaise aux “durs d’oreille”…
… tandis qu’une voix secrète murmurerait aux oreilles des galopins maintenant perchés tout en haut : « Ce que tu viens de faire est i-na-dmi-ssi-ble... »…


Le Grand Lycée, lycée Bugeaud…
Quelques élèves prestigieux

 Charles de Galland (1851-1923) professeur de lettres puis maire d’Alger. Alphonse Juin (1888-1967) Maréchal de France.
Pierre Benoit, académicien, Louis Gentil de l’Académie des sciences. Jules Carde Gouverneur Général de l’Algérie de 1930 à 1935.
Des professeurs et des élèves devenus célèbres
Fernand Braudel, Yves Lacoste, André Grec, Georges Aymé, physicien et océanographe spécialiste de la Méditerranée,
Masqueray, Maurice Wahl, Louis Bertrand, Jules Lemaître, Jean Grenier y ont enseigné.
Mohand Idir Aït Amrane, Dalil Boubakeur,  Alain Vircondelet, Roger Hanin, Mouloud Mameri,
Paul Charles Robert (dictionnaire), Jacques Derrida (en hypokhâgne) y ont étudié.
Ainsi que deux prix Nobel : Albert Camus et Claude Cohen Tannoudji… la liste paraît inépuisable…


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L’énigme Derrida


3 novembre 2022 (04H30) – Jacques Derrida est un homme important, qui a sa place dans la galerie des grands “influenceurs” des courants les plus déstructurant de notre époque. D’autre part, Derrida est né à Alger, c’est un pied-noir. Ce sont là deux bonnes raisons pour que je m’intéresse particulièrement à lui. On a d’ailleurs vu déjà l’intérêt très réel que je lui porte, notamment par le biais d’une vidéo insolite que j’ai derechef baptisée “confession de Jacques Derrida” (voir par exemple dans ce texte sur la déconstructuration, venu de 2017, plus valable encore en 2020 comme il est référencé ici, qui l’est encore plus aujourd’hui).

Mais il y a plus intéressant encore... Une “énigme” Derrida, pas moins ; quelque chose qui vous conduirait à vous poser de bien étranges questions, comme celle-ci : “Mais Derrida comprenait-il lui-même ce qu’il écrivait ?” ; ou bien encore : “Derrida n’a-t-il pas écrit toute son œuvre comme une vaste farce qu’il a lancée à la face du monde en riant aux éclats de se voir si gravement pris au sérieux ?”... Gardez tout cela à l’esprit en songeant également à la confession du déconstructurateur, à la “Derrida’s Terror”, et prenez l’épisode ci-dessous comme une sorte d’élément de tragédie-bouffe.

Enfin, trêve de billevesées et passons aux explications. Il s’agit d’un extrait de la deuxième partie du Tome III de ‘La Grâce de l’Histoire’ sur laquelle moi-même, l’auteur, travaille épisodiquement dans l’espoir presque mythique et mystique d’arriver un jour à son terme, si la GrandeCrise me laisse quelque répit...
Selon PhG-Bis, « Le sort de cette suite à ‘La Grâce’ est une sorte de mystère. Je suis bien incapable d’en prévoir le sort. PhG y travaille, mais plutôt épisodiquement. Les événements extérieurs l’accaparent et lui-même ne peut rien dire sur le sort futur de la chose. On verra… »
J’ignore l’importance réelle qu’il faut accorder à cet épisode mais l’expérience m’a appris, dans une époque où tout est simulacre, que des choses peu ordinaires voire extraordinaires peuvent exister ou se produire et rester dissimulées parce qu’elles contredisent trop droitement la narrative officielle, ou bien simplement parce qu’on ne peut les accepter, parce que n’est-ce-pas cela ne fait pas sérieux dans les salons et sur les plateaux-TV.

Bref, à vous de voir... Cette partie du livre peut être lue comme un tout. Elle y apparaît comme un ‘Impromptu’, sous le titre repris ici, – où El Biar est le nom d’un quartier des hauteurs d’Alger, de la petite bourgeoisie pied-noir, qu’il m’arriva si souvent de traverser...
PhG – Semper Phi


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L’‘Impromptu de Jacky d’El Biar’ :

“Jacky”, El-Biar et « Pojain y son été »


Ici donc, je nous propose un intermède annoncé plus haut pour pousser encore un peu mon avancée dans “l’énigme-Derrida”, à partir d’un livre qui ne paye pas de mine, qui est pourtant, pour mon compte, farci de souvenirs de jeunesse qui eussent pu être les miens : ‘Jacques Derrida, mes potes et moi – Une chronique lycéenne des années 40 dans l’Algérie de papa’ ; ce livre qui apporte quelques remarques bouleversantes si elles sont placées dans une certaine perspective très particulière et très spécifique à un destin. Je parle ici pour mon compte, et pour certaines identités anecdotiques mais structurantes avec mon propre destin. Il y a donc là-dedans, mêlés, de l’anecdotique du type que nombre d’esprits jugeront dérisoires, et de la destinée qui pourrait nous hausser aux plus hauts niveaux de la métahistoire.



L’auteur du livre cité se nomme Jean Taousson, son livre (collection Xénophon, Ateliers Fol’fer) fut édité en 2011, soit sept ans après la mort de Derrida. Taousson est mort récemment, par rapport à ce temps où j’écris ces lignes (31 juillet 2022), – le 31 janvier 2022, à 92 ans. Le livre nous rapporte donc les relations entre les deux adolescents, très proches, même lycée (Ben Aknoun, Alger), même dissipation, mêmes aventures, même amitié qui transcende tous les accidents de la vie ; puis deux destins séparés (comme ceux de leurs deux autres amis des ‘Mousquetaires’ comme ils se nommaient, César Six et Gramoiseau) et chacun lancé dans sa vie. Taousson devint journaliste, farouche partisan de l’Algérie française et même un des commandos Delta de l’OAS, tandis que Derrida, parti à Paris pour ses hautes études, était naturellement à la gauche intellectuelle, et par conséquent contre l’OAS et l’Algérie française, malgré une intervention remarquée auprès de Pierre Nora où il laissa paraître les tendresses que conservait son âme poétique de pied-noir ("Les Français d’Algérie de 1961" de Pierre Nora reparut en 2012 avec en ajout la lettre que lui adressa Derrida en avril 1961) ; leurs rencontres d’après, Taousson-Derrida, très rares me semble-t-il mais toujours marquées d’une chaleur d’au-delà des temps, étaient réglées par « une vieille règle [existant] entre nous : ne jamais aborder les questions politiques ».
Pour Taousson, si Derrida était un de ses amis les plus chers, il était aussi une énigme, notamment du fait de son exceptionnelle intelligence et de ses capacités de maniement de la langue, jusqu’à en faire un artifice de représentation auquel tous succombaient. Taousson rapporte cette anecdote où Derrida est interrogé par leur professeur de lettres, un monsieur Drougar, viel homme et “dur d’oreille”, et Derrida avec ses amis au fond de la classe :
– Comment décrivez-vous, mon cher Derrida, le sentiment de la nature chez Jean de La Fontaine ? demandait le “Droug”.

– Pojain y son été, M’sieur. Potichi été P’tit bain boudin le matin.

– Vous pouvez répéter, mon garçon ?

– Pojain y son été, M’sieur. Potichi été P’tit bain boudin le matin.

– Comment ?

– Y déchire tous les draps avec, M’sieur. C’est comme l’histoire des tonneaux : on les coupe en deux pour faire des baquets
… Et ainsi de suite. Taousson nous assure de la magie de ‘Jacky’, de sa culture et de son brio ; et le vieux ‘Droug’, découragé et ne voulant pas passer pour ridicule, et par ailleurs connaissant la talent de Derrida par les écrits de son meilleur élève dans le cadre du travail courant, enfin laissant l’incident à ce point il terminait par l’évidence des faiblesses humaines dont celle de ne pas paraître ne pas comprendre quelque chose d’un élève que tout le monde sait brillant :
– Très bien Derrida, je vais vous mettre un neuf
Ce passage constitue un témoignage qu’on retient sur la personnalité du jeune Derrida, manifestement très brillant dans les domaines littéraire et du maniement du langage, et en plus très habile dans l’art de la manipulation pour le plus grand plaisir de ses camarades. Ensuite, dans le récit de Taousson qui se concentre sur les aventures des quatre adolescents, on arrive sur la fin à la séparation des quatre amis qui commencent leurs vies d’adulte. On répète combien Taousson et Derrida divergent, le premier vers les opérationnels de l’OAS, le second dans le monde universitaire et intellectuel parisien (de gauche, comme il convient : « Gramoiseau affirmait que Derrida était entré dans le rang des gens sérieux [il commençait hypokhâgne au lycée Bugeaud, avant d’émigrer à Paris pour Normale Sup’] et que nous n’allions pas tarder à le perdre ») ; et l’on répète que, malgré cette fracture, les liens, la chaleur du souvenir, l’amitié subsistent absolument. Cela nous amène à une rencontre-retrouvailles Taousson-Derrida pour les funérailles de Gramoiseau, malade du cœur et le premier des quatre à mourir. Nous nous trouvons ici au point essentiel qui nous importe dans cet ‘Interlude’.
L’enterrement a lieu à Chatou, César Six est absent et les Mousquetaires se retrouvent à deux. Taousson propose de ramener Derrida à Paris où ils déjeuneront ensemble. L’affaire est faite. Taousson expose que le trajet en voiture fut morne et mélancolique mais que le repas changea tout cela, chaleur et amitié retrouvées. « J’attendis le dessert pour me jeter à l’eau… », avec les précautions nécessaires, parlant de sa carrière exceptionnelle, de sa notoriété, de sa réputation d’immense philosophe ; puis s’y mettre enfin :
– Jacky, murmurai-je presque confidentiellement, j’ai essayé de lire l’un de tes ouvrages, je dis bien “essayer” et suis confus de reconnaître que je n’y ai rien compris !

» Ses yeux avaient disparu sous un trait de paupières, comme chaque fois qu’il se réjouissait. Je notais au passage que ses dents étaient toujours aussi blanches et parfaites…

– Mais il n’y a rien à comprendre, sourit-il.

– Comment ça ? m’étonnai-je, es-tu sûr de ne pas seulement vouloir me faire plaisir ? Parce que je serais trop con pour apprécier ta prose et tes idées ? Explique-moi…

» Il me coupa.

– Que voudrais-tu que je t’explique ? La théorie du “Pojin y son” ?

– Pojin y son !

» Le baragouin fétiche de Jacky quand il atteignait, chez Drougar, les sommets du cocasse…

» Il marqua un temps d’arrêt et soupira :

– Il n’y a plus que trois hommes au monde qui connaissent vraiment les fondements profonds de ma “déconstruction” : toi, César à qui j’ai fait la même réponse à la même réflexion la dernière fois que nous nous sommes rencontrés à Nice et moi, bien entendu puisque Granmoineau s’est envolé… […]


– Jacky, repris-je, il y a dans le monde des milliers d’étudiants, de professeurs, d’intellectuels qui t’idolâtrent pour ce que tu leur racontes et que moi je ne “pige” pas. Avant, tout était clair : j’ai été ton premier admirateur devant l’Éternel. Tu as embelli ma vie par ton incomparable intelligence, ton humour noir, ta science de l’analyse et de la synthèse, ton sens aigu de l’amitié. J’ai reconnu ton talent, l’ai proclamé en notre temps mais pas pour les raisons obscures de la multitude qui t’encense aujourd’hui…

» Il m’interrompit à nouveau.

– Si ça peut te consoler, dit-il, je pense que l’ensemble de mes “fans” comme on les appelle dans notre monde américanisé, est logé à ton enseigne. Ces braves gens n’entravent pas grand’chose à ce que j’appellerais mes rébus. Mais ils font comme si… personne n’aime être pris pour un crétin. Tu sais bien qu’on peut trouver des explications à tout et ces gens-là ne s’en privent pas. Je les oblige à faire preuve de grande imagination… et puis il y a les autres, qui hurlent et qui sont plus que sceptiques : ceux-là me vouent aux gémonies… »
Pour terminer, les deux amis ont ce dernier échange :
– … Je ne suis pas un iconoclaste, cependant je te verrais plutôt comme le Cagliostro des temps modernes, le Naundorf de la philosophie inaccessible.

– C’est toi qui le dis, murmura Jacky en souriant.

Je ne m’attacherais certainement pas, je veux dire “sérieusement” car ce n’est absolument pas mon propos, à tenter de montrer cette absence extraordinaire de sens que constitue la déconstruction. Derrida lui-même s’y est employé et nous a convaincus ; il suffit, disons, de lire dans ‘L’homme dévasté’, œuvre posthume de Jean-François Mattei, par exemple de la page 113 à la page 138 pour voir défiler toutes les facettes de cette absence complète, et n’en rien sortir qui ne soit présent dès le début du passage, disons par ces simples mots :
« Le plus étonnant, c’est qu’à aucun moment ils ne nous donnent la raison de cette furie de déconstruction qui se porte sur tout et sur elle-même, au point de s’anéantir puisque, selon Derrida, la déconstruction n’est “rien”. » … Ou bien : « La déconstruction est une opération qui n’est pas une opération. »… Ou bien, ou bien, ceci qui remplit de perplexité le brave Taousson :

« Le propre d’une culture c’est de ne pas être identique à elle-même. Non pas de n’avoir pas d’identité mais de ne pouvoir s’identifier, dire “moi” ou “nous”… Que dans la non identité à soi ou si vous préférez la différence avec soi. Il n’y a pas de rapport à soi, d’identification à soi sans culture de soi comme culture de l’autre, culture du double génitif et de la différence à soi… »

Mais tout cela doit être apprécié comme secondaire par rapport à ce que nous dit l’auteur du livre [Taousson]. Son témoignage est totalement invérifiable et devrait être, s’il était jamais cité, enseveli sous les sarcasmes dénonçant le manque de maturité philosophique et les hurlements horrifiés qui ponctuent nécessairement la démarche d’un homme qui fut membre de l’OAS. Tout cela me paraît donc bien sympathique et j’ai envie d’y croire, et même d’accepter complètement cette histoire, et plus encore, allant jusqu’à prendre pour du comptant ce que Derrida lui dit, et penser que Derrida ne dissimule rien n’y n’invente pour gruger son ami. J’ai de la tendresse pour ces amitiés simples qui ressuscitent les souvenirs épars d’une jeunesse enfuie, plus encore quand le cadre en est cette tragédie historique, et même métahistorique, que fut la “guerre d’Algérie”. J’ai d’autant plus de la tendresse qu’en adoptant cette posture, je me délivre quelque peu de cette atmosphère étouffante qui pèse sur les salons parisiens, les séminaires de philosophes, le milieu extraordinaire de complaisance et de conformisme que sont devenues la France, sa capitale et cette époque où triomphent le narcissisme et l’hybris des gens de l’espèce humaine.

Cela signifie que Derrida, selon un enchaînement que j’imagine aisément à la lumière de son brio et de son goût de la manipulation au départ gratuite, emprunta une voie de la pensée où son habileté dialectique et son agilité mentale firent merveille et le placèrent au niveau des plus hauts… D’ailleurs, depuis que la philosophie officielle s’est perdue dans le négationnisme de la pensée et le nihilisme du sentiment au profit de l’effet, du spectacle et du simulacre, combien parmi “les plus hauts” de nos temps désertiques et inféconds, n’ont-ils pas goûté à cette même ivresse à laquelle “Jacky” aurait cédé en connaissance de cause ? Il ne s’agit pas nécessairement de faussaires assumés, mais d’esprits de qualité qui acceptent un détournement mineur au départ, pour mieux goûter l’ivresse dont je parle, et bientôt, la pensée et la gloire s’y mettant, s’en découvrent prisonniers.

Notez bien que j’emploie à dessein ce mot de “prisonnier”, exactement comme je l’ai employé en commentaire de la “confession-Derrida”. Je me trouve alors en bien meilleure posture pour avancer l’hypothèse que cette pensée du déconstructeur, une semi-conviction sérieuse en position de semi-acrobatie sur le fil du simulacre, dépend d’une psychologie extrêmement fragile, encore plus fragile que celle que j’ai évoquée en commentaire de la “confession-Derrida” puisque pourvoyeuse d’un discours appuyé en partie sur un simulacre. Les fissures sont alors bien plus nombreuses et traîtresses pour mieux servir le démon. Celui-ci, – le démon exactement, car sa présence est une évidence, – a choisi la technique du “geste déconstructif” comme arme destinée à semer malheur et tromperie permettant au Mal d’installer ses quartiers d’un siège hermétique autour de cette forteresse affaiblie qu’est la civilisation ; ainsi affirmé dans la technique de son action, il entame son labeur par l’intermédiaire des esprits qu’il a choisis comme, disons pour user de termes de la mode en-cours, comme ses “communicants”.

On voit bien qu’on ne cherche en aucune façon à diminuer, ni railler, ni faire de Derrida un galopin. Cela serait indigne et n’aurait pas sa place dans la grande fresque de l’action démoniaque qui s’est emparé du monde. D’autre part, cette démarche de suivre le témoignage innocent voire candide, mais pas nécessairement malavisé, de Taousson, nous permet de mieux appuyer, et même de charpenter notre hypothèse d’un Derrida prisonnier des forces du Mal du fait de la facilité trompeuse que lui donne son brio. La part de jeu (au sens intellectuel du mot), le brio de Derrida sont dans ce cas des éléments perturbateurs de sa vigilance, comme lui-même le laisse entendre lorsque la Voix lui parle dans ses moments de demi-sommeil (« Ce que tu viens de faire est i-na-dmi-ssi-ble... »). Ainsi le venin de l’agression sournoise pénètre beaucoup mieux son esprits et en fait le jouet de cette entreprise maléfique sans lui laisser vraiment la capacité de le distinguer avec assez de lucidité pour réagir par une révolte. On s’explique d’autant mieux qu’il ait suivi cette voie dont il savait, de quelque part en lui d’où venait cette Voix, combien elle était malfaisante. La déconstruction apparaît d’autant plus, d’autant “mieux” si l’on ose dire, comme l’outil favori du démon, maquillé de mille tendresses de coloris, de concepts sucrés qui sont agréables au goût, de formes molles et originales lourdes d’une sensualité attirante ; l’outil s’adresse aux seuls sens et fournit les clefs de l’acrobatie dialectique qui dispense le petit personnel du commentaire et les figurants de l’entreprise de s’aventurer à une interrogation introspective.

Tout est ainsi mieux éclairé, mieux explicité, sur les ruines des plus émouvants souvenirs, – pour moi, émouvants plus que tout et nostalgie des temps perdus à plus d’un égard, – des jeunesses algéroises dont j’ai moi-même ma part précieusement conservée dans l’éternité de ma nostalgie.

Ainsi se termine l’‘Impromptu de Jacky d’El Biar’, – et nous pouvons revenir, bien mieux armés, à la “confession-Derrida”, et nous reprenons là où nous en étions restés, ayant complété notre récit des circonstances et réflexions de la “confession-Derrida” ; ici, avant d’élargir notre champ de réflexion, à partir de cet épisode, sur toute notre époque qui est celle des temps-devenus-fous.


Philippe Grasset : “Déconstructuration” du déconstructeur

Jean Taousson : Une jeunesse en Algérie française - Jacques Derrida, mes potes et moi, chronique lycéenne des années 40

Voir aussi :
Jean Taousson : Une jeunesse en Algérie française [FrancePhi Diffusion] - Jacques Derrida, mes potes et moi. Chronique lycéenne des années 40

L’Algérie des années 1940. Une bande de copains, chahuteurs, heureux de vivre et bien dans leur peau. L’auteur nous narre, avec humour et parfois émotion, son enfance et son adolescence au lycée de Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. “Ben Ak” qui fera partie de ses meilleurs souvenirs, avec la création d’une société secrète et les excursions dans l’ancien abri anti-aérien du lycée. Il nous parle surtout de ses copains, et plus particulièrement du philosophe Jacques Derrida, l’inventeur de la “Déconstruction”, qui fut dénoncé en Grande-Bretagne sur le campus de Cambridge comme un garçon pervers pour précieuses transies, avant de s’y voir décerné le titre de Docteur Honoris Causa… au bénéfice du doute ! On retrouve la bande de copains sur les stades algérois pour des matches de football d’anthologie, particulièrement contre des prisonniers de guerre Italiens. Ou encore autour des rings à l’époque où l’auteur envisageait de faire une carrière de boxeur. On le suit également, avec toujours les mêmes amis, dans la grande tricherie d’un “marathon” de 100 kilomètres d’Alger à Meurad.